Si je me permets de reprendre in extenso - photos comprises – cet article d’Emmanuel Tresmontant paru le 10/05/2014 dans l’édition en ligne du Monde (Rubrique Style), c’est parce qu’il traduit parfaitement notre sympathie (pour ne pas dire plus) inconditionnelle pour ce lieu incontournable pour tout amoureux de la dive bouteille, et pas seulement qu’eux d’ailleurs (N’est-ce pas Alex, n’est-ce pas Arlette) !!
Chaque fois que je passe à Paris (Voir Escapade Bourguignogne), et ce sera le cas dans quelques jours, c’est toujours avec le même plaisir et ce petit pincement au cœur que je pousse la porte de Tan Dinh impatient de retrouver la cuisine de Robert et les belles bouteilles que son frère Freddy choisira pour nous, pour accompagner ces mets délicats.
Mais au-delà de ces instants vino-gastronomique, ce qui me touche, ce qui nous touche, à chaque fois c’est la gentillesse et j’oserai même dire, l’amitié avec laquelle nous sommes accueillis et ces moments inoubliables partagés avec Freddy, passés à parler vin - et pas que - parfois jusqu’au bout de la nuit….
Le restaurant Tan Dinh : 60, rue de Verneuil - Paris 7e - Tél. : 01-45-44-04-84
Indifférents aux modes et aux étoiles, il est des restaurants qui vivent leur vie, sagement, et que l’on découvre presque par surprise… Ainsi en est-il de Tan Dinh, rue de Verneuil, à Paris, dans le 7ème arrondissement : le plus ancien restaurant vietnamien de la capitale (créé à l’origine en 1968, rue des Arènes, dans le Quartier latin).
Dans les années 1980, on y croisait Serge Gainsbourg (qui habitait à deux pas) et Marguerite Duras, qui, se prenant d’amitié pour le chef, Robert Vifian, lui proposa de jouer le rôle de l’amant dans le film de Jean-Jacques Annaud (1992). « Heureusement pour tout le monde, l’affaire ne s’est pas faite ! », se souvient avec humour l’intéressé.
Né à Saïgon en 1948, ce Franco-Vietnamien autodidacte et polyglotte est l’un des personnages les plus énigmatiques du microcosme gastronomique. Aussi à l’aise en cuisine qu’expert en art contemporain (sa véritable passion), il est intarissable sur Jean-Michel Basquiat, Keith Haring ou le sculpteur canadien David Altmejd, dont il organise actuellement la rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
il déguste un grand vin (ce qui lui arrive chaque jour), Robert consigne ses impressions dans un petit carnet, à la manière de Louis de Funès dans le film L’Aile ou la cuisse. Toute sa vie durant, il s’est employé, tel un archéologue, à reconstituer les recettes oubliées de la grande cuisine vietnamienne.
Dans son paisible restaurant, aussi obscur et protecteur qu’une carapace d’oursin, on se délecte ainsi de ses légendaires rouleaux de printemps au canard laqué et aux kumquats. Chaque matin, des mains expertes de femmes façonnent les tendres raviolis à l’oie fumée, qu’elles disposeront ensuite sur un tamis fin de tissu, posé au-dessus d’une marmite d’eau bouillante.
Avec ses herbes fraîches, son riz gluant aux graines de lotus et ses sauces longuement macérées au soleil (dont l’archétype est le traditionnel nuoc-mâm à base de poisson fermenté et de sel), la cuisine vietnamienne possède une identité propre qui la distingue des autres cuisines asiatiques. Pour la découvrir dans son authenticité, Tan Dinh (« la cité neuve ») demeure, aujourd’hui encore, une adresse incontournable.
Si l’on est pressé, on pourra y manger un seul plat, comme le très nourrissant pho, soupe que l’on sert au Vietnam à toute heure de la journée. Apparue au début du XXe siècle, dans le port de Nam Dinh, très fréquenté par les Chinois et les Français, cette soupe est naturellement née de la rencontre entre la soupe aux nouilles chinoise et le pot-au-feu français… Après l’avoir fait mijoter longtemps, on la parfume aux herbes fraîches et au nuoc-mâm et l’on ajoute des lamelles de viande de bœuf crue juste avant de servir.
Tan Dinh, toutefois, n’est pas seulement un restaurant, c’est aussi un lieu de rendez-vous et de retrouvailles pour les amoureux de la dive bouteille. Initié au vin par son grand-père, qui, dès son plus jeune âge, lui versait une goutte de Volnay dans son verre d’eau, Robert Vifian s’est forgé seul une culture encyclopédique qui, aujourd’hui encore, lui vaut le respect des plus célèbres experts, qu’ils se nomment Robert Parker ou Michel Bettane.
Qui d’autre que lui peut d’ailleurs se prévaloir d’avoir goûté trente fois du château Cheval-Blanc 1947 ? « En 1968, je suis tombé sur une phrase du célèbre critique gastronomique Curnonsky [1872- 1956], qui disait en substance que si la cuisine asiatique se mariait avec les vins, elle serait lameilleure du monde. Pour moi, tout est parti de là. »
Aujourd’hui, preuves à l’appui, notre homme est catégorique : oui, le mariage mets-vins est plus compliqué pour la cuisine occidentale que pour la cuisine asiatique ! « Prenez par exemple le coq au vin. Dans ce plat typiquement bourguignon, il y a plusieurs ingrédients : le coq, les carottes, les champignons, les lardons… Or chacun de ces ingrédients ne se marie pas de la même manière avec le vin ! A chaque bouchée, vous avez des saveurs différentes. Dans la cuisine vietnamienne, au contraire, chaque plat possède une unité, il y a peu d’ingrédients, l’ensemble est épuré, donc il est plus facile de trouver un accord. Le riz, de même, se marie plus facilement avec le vin que le pain, qui possède plusieurs niveaux de goût entre la croûte et la mie. »
Dans la cuisine vietnamienne, l’approche du goût est différente. « Pour ôter l’acidité d’un citron, par exemple, on le saupoudre de sel. On obtient ainsi un condiment aromatique qui, sur certains plats braisés, permettra un accord intéressant avec des vins aux notes citronnées et amères, comme les grands champagnes de la Côte des blancs. »
Chez Tan Dinh, mets et vins se valorisent mutuellement. La fraîcheur poivrée d’un grand saint-joseph (de chez Jean-Louis Chave) vient ainsi sublimer le fameux filet de bœuf, qu’il est d’usage, au Vietnam, de griller très rapidement, après l’avoir fait longuement mariner dans une sauce soja parfumée aux zestes de citron vert, aux épices, au poivre concassé et au miel…
A qui le demande, Robert Vifian, après le repas, fera visiter sa cave, vraie caverne d’Ali Baba. « Je suis contre la sacralisation du vin. Le vin, c’est fait pour être bu et pissé… », dit-il en se frayant un chemin entre des caisses de Château Pétrus posées à même le sol.